Déchéance de nationalité : c'est inefficace et violent. Non à sa constitutionnalisation
Peu de nos concitoyens comprennent et perçoivent les conséquences d'une modification de notre Constitution.
Modifier notre Constitution signifie, en d'autres termes, que nos lois ne sont pas assez efficaces pour veiller à notre sécurité, ou pire encore que nous trahissons les principes mêmes de notre Déclaration des droits de l'homme à des fins politiques.
La Constitution est le garant de notre démocratie et de notre liberté, telle que nous la défendons depuis 1789.
Du racisme qui ne dit pas son nom
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, qui ont bouleversé toute la nation, le président de la République, devant l'ensemble des parlementaires en congrès à Versailles, a annoncé vouloir amender la constitution afin d'y introduire les notions "d’état d'urgence" et de "déchéance de la nationalité".
Sous le choc des attentats perpétrés sur le territoire, sous l'émotion qui nous envahissait, nous ne pouvions être spontanément en désaccord.
Nous ne percevions pas la gravité d'une telle annonce. Cette volonté de "déchoir de la nationalité" est extrêmement forte et a retenti quelques jours plus tard comme une énième atteinte au principe d'égalité entre citoyens.
Pour les binationaux notamment, cette annonce fut violente. Violente parce qu'elle évoque de lointains souvenirs qui ont traumatisé toute une génération. Violente parce qu'elle nous renvoie aux origines d'un régime totalitaire que nous avons connu, puis combattu. Violente parce qu'elle soupçonne une catégorie de Français, autrement dit les binationaux, d'être des terroristes en puissance, en sommeil.
Violente, en fin, parce que derrière cette déchéance se cache un racisme qui ne dit pas son nom.
Une mesure clivante
L'ancien ministre Pierre Joxe a récemment donné son avis sur la question. Il insiste sur notre passé colonial et dénonce le racisme envers la population dite "d'origine", formellement constaté dans notre pays. La déchéance de nationalité, qui vient tout droit du programme du Front national, s'ajoute au climat nauséabond ressenti depuis la crise de 2008.
En 2012, lors de la campagne présidentielle, le candidat élu à la primaire citoyenne disait vouloir défendre le droit de vote des étrangers non communautaires, afin de rassembler la nation et de permettre à chacun de participer aux décisions locales. Aujourd'hui président de la République, il propose la déchéance et apporte ainsi une nouvelle réponse qui creuse les différences, au lieu de les cultiver.
Cette mesure, annoncée comme symbolique, devient clivante. Et d'un point de vue juridique, toucher notre constitution n'est d'aucune efficacité. Ce n'est pas nous qui le disons, mais de nombreux juristes. Cela pose une réelle problématique aux juges qui seront nommés pour gérer les affaires en lien avec le terrorisme.
Ils ne pourront déchoir dans les faits seulement les binationaux, car ils ne pourront créer d'apatrides. Les Français ne possédant pas la double nationalité se verront donc déchoir de leurs droits civiques, ce qui crée à nouveau une fracture entre les uns et les autres. On pointe du doigt une catégorie de Français, en remettant en cause la notion d'égalité devant la loi.
Un débat crucial
Pourquoi proposer une mesure qui pourrait être utilisée à l’encontre de tous, pouvant ainsi porter atteinte à nos libertés fondamentales, telles que manifester ou exprimer une opinion ? Depuis l'ouverture des discussions à l'Assemblée nationale, nous citoyens, nous nous sentons démunis et impuissants.
Nous constatons que la division de nos parlementaires sur le sujet n'est pas représentative de la population dans son ensemble. Ce projet de loi apporte un risque fort et nous questionne sur l'avenir de la République. Il est primordial pour nous que ce débat soit porté au plus près des citoyens et ne se décide pas seulement dans l'hémicycle.
Nous appelons donc à l'organisation de débats plus détaillés du texte de loi. Nous le demandons pour que les Français puissent prendre part à la décision, qu'ils soient en capacité de comprendre, afin d'en définir les risques potentiels dans le temps.
Afin de renouer avec le vivre-ensemble et apporter de nouvelles réponses aux enjeux de l'avenir de la nation, nous insistons : il est primordial que les débats soient organisés au plus près des citoyens et qu'il soit envisagé un référendum.
Une peine d'indignité nationale ?
Nous demandons aussi au gouvernement de statuer plutôt sur la déchéance des droits civiques par la peine d'indignité nationale, qui nous paraît être une disposition plus égalitaire et répondant aux droits et devoirs de chacun. L'indignité nationale est punie de la peine de la "dégradation nationale", à perpétuité ou à temps (cinq ans et plus). Elle entraîne la mise au ban du condamné et fait partie des peines afflictives et infamantes.
Le condamné perd bon nombre de ses droits, comme le droit de vote, l'inéligibilité, l'exclusion des fonctions publiques ou semi-publiques, la perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations, l'exclusion des fonctions de direction dans les entreprises, les banques, la presse et la radio, de toutes fonctions dans des syndicats et organisations professionnelles, des professions juridiques, de l'enseignement, du journalisme, de l'Institut de France, l'interdiction de garder ou porter des armes.
Le tribunal peut également prononcer des interdictions de séjour et la confiscation de tout ou partie des biens. Le versement des retraites est également suspendu.
Les premiers signataires :
- Ludovic Mendes, président de l'association Avenir Ensemble
- Nisrine Zaibi, conseillère régionale de la région Bourgogne Franche-Comté
- Rachid Sekkour, maire-adjoint de Vandoeuvre-les-Nancy
- Asif Arif, avocat au Barreau de Paris, Directeur du site Cultures & Croyances
- Thomas Scuderi, adjoint au maire de Metz en charge de la citoyenneté
- Nesserine Banaissa, citoyenne
- Kamel Bouzad, conseiller municipal et communautaire de Longwy
- Charles Zittoli, citoyen
- Lokmane Benabid, conseiller municipal de Moyeuvre-Grande, membre du Conseil national du PS
- Hacen Boukhelifa, Avocat à la Cour
- Pascal Didier, EELV, représentant d’éditeurs
- Medhi Bouanane, sportif professionnel et travailleur social