Hacen Boukhelifa

Police/citoyens : 10 propositions pour un meilleur service public

5 Janvier 2017, 13:33pm

Police/citoyens : 10 propositions pour un meilleur service public

Dialogue rompu, contrôles au faciès, jeunes flics envoyés au casse-pipe... Le gouffre s’est creusé entre la population et sa police, témoigne Réda Didi, président du think tank "Graines de France", qui propose 10 pistes concrètes pour que la police retrouve pleinement son rôle de service public. Un appel déjà signé par de nombreuses personnalités.

Entre octobre 2010 et mai 2011, "Graines de France" a animé des tables rondes sur les relations citoyens/police et une plénière en présence de citoyens, de représentants de la police, d'associatifs, d'élus locaux et de chercheurs dans une dizaine de villes comportant des quartiers populaires.

 

Ces rencontres ont renoué un dialogue rompu, ont permis de sortir des clichés ancrés des deux côtés, et de co-construire, en tout cas d'esquisser dix propositions pour que la police retrouve pleinement son rôle de service public, au service de la population, sur tous les territoires de la République.

 

Un gouffre entre la population et sa police


Les différentes réunions citoyens/police organisées dans de nombreux quartiers populaires ont révélé qu’un gouffre s’est creusé entre la population et sa police. La confiance est brisée et le dialogue quasiment rompu, mettant les fonctionnaires de police dans l'impossibilité de remplir correctement leurs missions. Trop nombreux sont les citoyens quipréfèrent éviter d'avoir affaire aux forces de l’ordre plutôt que s'adresser à elles lorsqu'ils sont victimes d'infractions.

 

La police n'est donc plus perçue comme un garant de la sécurité de la population, comme une institution protectrice des libertés, mais comme un vecteur d'insécurité qui menace ces mêmes libertés.


De ces tables rondes émanent des témoignages récurrents de pratiques abusives desforces de l’ordre : harcèlement, contrôles au faciès et répétitifs, gardes à vue injustifiées, poursuites pour outrages infondées. Les jeunes se sentent particulièrement ciblés par ces pratiques abusives, qui dans leur dimension symbolique, ébranlent leur appartenance à la République par une remise en cause permanente de leur citoyenneté.


La population n'est pas la seule victime de la dégradation de cette relation. Les fonctionnaires de police en souffrent également. Leurs conditions de travail sont extrêmement détériorées par le stress permanent et le danger parfois mortel, de situations trop souvent conflictuelles. La conception de la sécurité qui domine aujourd’hui et la course à la performance, régulièrement dénoncée anonymement par des fonctionnaires de police sur les réseaux sociaux, gangrènent également la relation citoyens/police. Dans les quartiers dits “sensibles”, ce sont le plus souvent de jeunes fonctionnaires, peu expérimentés, qui dans leurs premières affectations sont présents sur le terrain. Ils sont insuffisamment formés et peu soutenus par leur hiérarchie.


A l'issu de ce travail et compte tenu de ce contexte, nous ne pouvons nous résoudre à la prévision d’une recrudescence des violences, de prochains conflits entre les policiers et la population et leur cortège d’émeutes et de destruction. Cette situation est intolérable. N'oublions pas que, de toutes les institutions publiques, l'institution policière est l’une des plus visibles, si ce n'est la plus présente dans le quotidien de la population. Elle est en charge d'une mission fondamentale : garantir la sécurité et l’ordre public. Quand l’arbitraire est toléré au sein d'une institution, qui est dotée de l’usage légal de la force et des armes, cela discrédite l’ensemble des institutions publiques. Le droit à la sûreté doit être garanti sur l’ensemble du territoire de la République.


Il est urgent de rétablir le dialogue et ainsi restaurer le respect mutuel car cette situation n'affecte pas seulement les relations citoyens/police mais altère le pacte républicain liant les citoyens à leurs institutions publiques. Si aujourd'hui, les abus affectent particulièrement une partie de la population, celle des quartiers sensibles, n'importe qui peut en être victime.

 

Nos dix propositions


1- Un engagement fort des responsables politiques et des mesures conséquentes afin que les changements nécessaires soient mis en œuvre pour lutter contre les pratiques abusives. La police est un service public qui doit être revalorisé par les responsables politiques. Sa visibilité dans l’opinion publique l’oblige à s’élever contre toutes les discriminations et à diffuser une image d'exemplarité par ses pratiques.


2- La police nationale est un service public qui doit être renforcé. Elle doit donc répondre aux besoins de la population mais également lui rendre des comptes sur la manière dont ses fonctionnaires exercent leurs missions. Cela nécessite un renforcement de la transparence, et une véritable écoute de la population en matière de sécurité au niveau local.


3- Plus la police connaitra les habitants dans leur environnement, plus efficace sera son travail. Intégrer une police du quotidien, proche du citoyen pour retisser les liens et assurer la sécurité de tous afin de restaurer une présence policière proche de la population ; valoriser le contact et la communication entre police et citoyens ; mettre les besoins de la population locale au cœur du travail policier.


4- Des rencontres régulières doivent être organisées entre les différents acteurs concernés par les questions de sécurité au niveau local. Ces réunions citoyens/police/élus au niveau local permettront un dialogue véritablement ouvert et accessible à toute la population locale.


5- Retenir des motifs objectifs comme seule condition légitime des contrôles d’identité : aujourd’hui, les agents de police peuvent procéder à des contrôles sur de simples suspicions sans devoir démontrer qu’il existe un fondement objectif, tel qu’un comportement suspect, pour contrôler quelqu’un. Cela ouvre la voie aux dérives et à l'arbitraire. En témoigne la multiplication des contrôles basés sur l’apparence physique des personnes. La législation doit donc être modifiée afin d'imposer une motivation fondée sur des critères objectifs pour tous les contrôles d’identité.


6- Remise d'un récépissé après chaque contrôle détaillant les conditions, les motifs et lessuites du contrôle : comme cela se pratique déjà dans plusieurs pays, lors de chaque contrôle d’identité les agents devraient remplir un formulaire dont une copie serait remise à la personne contrôlée. Celui-ci stipulerait entre autres le contexte du contrôle, les motifs du contrôle et ses résultats. Un contrôle d’identité est le seul acte de procédure pénale qui ne donne lieu à aucun document. Un récépissé constituerait "une trace" du contrôle, un élément objectif et factuel, support matériel au dialogue entre police et citoyens.


7- Le Défenseur des droits, nouvelle institution accessible à tous, dont l’existence est gravée dans la Constitution, doit veiller au respect de la règle de droit et de la déontologie par toutes les forces de sécurité. Son indépendance, ses pouvoirs d’investigation et d’injonction, sa visibilité doivent être renforcés afin que ses décisions soient respectées et son contrôle effectif.


8- La formation initiale et continue des fonctionnaires de police doit être largement renforcée et permettre la mise en pratique des règles déontologiques dans l’accomplissement des tâches quotidiennes.


9- Les critères d’évaluation et de promotion des policiers doivent prendre en compte le respect la déontologie et création du lien social et ne plus dépendre uniquement des objectifs chiffrés.


10- Dans les quartiers populaires dits difficiles, les policiers qui y sont affectés sont jeunes et inexpérimentés, souvent fraîchement diplômés et insuffisamment formés et encadrés pour remplir correctement leurs missions. Pour limiter le "turn over" actuel, facteur dedérives, il faut créer des conditions humaines et matérielles incitant les fonctionnaires les plus gradés à rester sur ces territoires.

 

Par 
Think tank "Graines de France"

Publié le 16-02-2012

 

Retrouvez l'appel, les nouveaux signataires et toutes les réactions vis à vis des propositions sur le blog officiel.

 

Premiers signataires :

 

Axiom (artiste et fondateur de l'association Norside)
Slim Ben Achour (avocat au Barreau de Paris et membre du SAF)
Ghaleb Bencheikh (intellectuel)
Hacen Boukhelifa (avocat à la Cour et professeur en droit des étrangers, expert au pôle immigration-intégration de François Hollande)
Claire Boulanger (consultante)
William Bourdon (avocat)
Olivia Cattan (présidente de Paroles de femmes)
Marc Cheb-Sun (directeur du magazine Respect Mag)

Catherine De Wenden (centre d'études et de recherches Internationales, Sciences-Po)
Milo Delage (président de l'UFAT)
Jean Desessard (sénateur EELV de Paris)
Laurianne Deuniaud 
Rokhaya Diallo (fondatrice des Indivisibles et chroniqueuse)
Claude Dilain (sénateur PS de Seine-Saint-Denis)
Jean-Pierre Dintilhac (magistrat honoraire)

Nathalie Duhamel (ancien secrétaire général du CNDS de 2001 à 2009)
Didier Fassin (sociologue, professeur à l'Institute for Advanced Study de Princeton)
Simone Gaboriau (magistrat honoraire, ancienne présidente du syndicat de la magistrature)
Louis Georges Tin (président du CRAN)
Sabrina Goldman (avocat, secrétaire générale adjointe du club DJS)

Patrick Henriot (substitut général, membre du Syndicat de la magistrature)

Roland Kessous (magistrat honoraire)
Michel Kokoreff (sociologue)
Bruno Laforestrie (ex-patron de Générations, fondateur du pacte "du 21 avril")
Christine Lazerges (professeur à l'université Paris 1, présidente du club "Droits, justice et sécurités")

Alain Monod (avocat au Conseil d'Etat)
Christophe Mounzer (avocat)
Laurent Mucchielli (sociologue)
Nordine Nabili (directeur du Bondy Blog)
Pap N'Daye (historien)
Serge Portelli (vice-président au TGI de Paris)

Sihem Souid (essayiste),
Syndicat des avocats de France
Syndicat de la magistrature
Jean Claude Tichkaya (président de "Devoir de mémoire")
Dominique Tricaud (avocat, secrétaire général de la fédération Helsinki des droits de l'Homme en France)
Elisabeth Weissman (journaliste et auteur de "Flics, chronique d'un désastre annoncé")

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